Bonjour
Il m a été proposé de témoigner sur parole et deuil et parole et maladie grave
.J’ai en effet vécu il y près de 24 ans la perte d’un fils de 15 ans, Baptiste,suite à un accident d autocar et depuis 5 ans je me bats contre un cancer grave dont la guérison n est pas envisageable (sauf miracle).
Je pense qu’il y a des similitudes à ces 2 situations car l une comme l’autre font peur, pour ceux qui ont à la vivre mais aussi pour ceux qui sont autour de nous proches ou moins proches.
D’autre part dans les 2 cas il y a deuil: deuil d’un être cher et deuil de sa propre vie.
Comment la parole, les paroles ont contribué ou non à m’aider sur ces chemins?
La parole n est bien sur pas toujours orale elle peut être écrite, ainsi après la mort de Baptiste j ‘ai trouvé beaucoup de réconfort à lire les temoignages de parents désenfantés, à la fois pour réaliser que tout ce que je ressentais était normal, que je ne devenais pas folle. J’ai aussi voulu rencontrer des parents qui me semblait-il s’en étaient sortis, et si eux avaientreussi pourquoi pas moi.De même faire partie d’un groupe de parole au sein de l association «apprivoiser l absence», (elle est devenue, vivre son deuil, )m’a apporté beaucoup de soutien par l’écoute des autres parents (on relativise parfois sa situation ) et le témoignage de chacune qui a une histoire différente mais si proche.
Paradoxalement je n’ai pas souhaité me retrouver dans un groupe de parole de malades atteints de cancer, je crains d être trop envahie par la maladie, la souffrances des autres alorsque j’ai mon propre chemin à tracer où pour être bien moralement j’essaie (quand c est possible) de mettre la maladie à distance.Pourtant et ça peut sembler paradoxal, je trouve qu’il manque des témoignages écrits de personnes qui vivent ou ont vécu la maladie incurable et le chemin vers la mort ceci dans une certaine paix.
Les paroles qui ne m ont pas aidée ou qui m ont fait du mal
.Après la mort d’un proche et encore plus un enfant les gens se sentent démunis et certains veulent absolument dire une parole qu’ils espèrent réconfortantes mais que je qualifierai(et cest gentil de parole inutiles: - vous avez perdu un enfant mais il vous en reste 3, pensez à eux.- c’est maintenant un ange qui veille sur vous- Dieu doit vous aimer beaucoup pour vous envoyer une telle épreuve....Ce n est pas de la méchanceté, l intention est bonne, dans la plupart des cas .
L’écho en soi de la souffrance de l autre amène à vite dire quelquechose, pour ne plus ressentir cet inconfort intérieur.
Heureusement beaucoup ont compris que le plus important est la présence, l écoute et parfois le silence.Une question m a souvent été posé par des proches ou moins proches: faut-il te parler de ton fils?Cela ne risque-t-il pas de t’y faire penser et peut-etre même te faire pleurer.
Pour moi en tout cas et je sais que beaucoup seront d’accord avec moi, le pire est de ne pas en parler, faire comme si il n avait pas vécu, c est à mon sens le faire mourir 2 fois en l enfermant dans une chape de plomb.Et finalement se rappeler des souvenirs de celui qui n est plus là c est risquer de pleurer mais aussi de rire ensemble et ça fait beaucoup de bien.Un de mes frère qui a perdu un bébé de 3 mois me disait:vous au moins vous avez des souvenirs à évoquer.
Dans la maladie:La parole avec le corps médical
Quand j ai commencé à rédiger ce témoignage j avais rendez-vous l apres-midi avec l’oncologue qui me suit à Oscar Lambret, il devait me dire, suite au scanner si oui ou non on poursuit la chimiothérapie.Dans ces rencontres j attends une parole qui m offrira une lueur d’espoir, chaque mot est pesé, sous-pesé par moi pour essayer d y trouver du positif qui me permettent d’avancer encore.Depuis 5 ans j ai eu l occasion de cotoyer les médecins et je me demande s’ils se rendent compte à quel point leur parole est décortiquée par le malade.J’ai ainsi vécu au CHR de Lille une expérience difficile.Alors que j avais perdu beaucoup de sang et reçu de nombreuses poches de ce sang, un professeur en gastrologie m’envoie en pleine figure: qu’est qu’on fait avec vous vous n allez pas vider tout le sang de l Institut Pasteur.Puis il ajoute (le problème ayant été repéré au niveau de l’intestin grêle) en attendant moi je ne vais pas aller farfouiller dans la bouillie qu’est un intestin grêle à votre âge, si Oscar Lambret veut le faire qu’il le fasse. Vous imaginez que le lendemain je suis partie en salle d opération avec plus de crainte que d’espoir.Il est important pour le médecin d’établir une relation sincère et authenthique, de laisser la porte ouverte à un devenir possible, tout en restant réaliste. Depuis quelques mois je suis suivie à Valenciennes (en plus d’Oscar Lambret) par une oncologue et une radiothérapeute, est-ce parce que ce sont des femmes mais l’échange a toutde suite été facile, je me sens reconnue dans mon être tout entier et non seulement comme malade.L’oncologue de Lille à une approche plus technique, pourtant avec lui j’ai quand même réussi à parler des directives anticipées et de toutes les questions que cela soulèvent.A la fin de l’échange il m a dit qu’ils sont rares les malades avec qui il a pu en parler en toute sincérité.
La parole avec les proches, conjoint, enfants
La parole est parfois compliqué.Les proches ne peuvent pas entendre que notre avenir est limité, pour eux c est trop difficile d entendre: quand je ne serai plus là (c est déjà difficile pour nous de le penser) il me semble qu ils sont souvent dans le déni.En couple par exemple chacun tente de protéger l autre de ses angoisses et de sa tristesse. Il est difficile d exprimer ses peurs, ses doutes face à l avenir ce qui entraine malentendus et incompréhension.D’où l importance de trouver d’autres lieux, d’autres personnes avec qui parler de ce qui m habitent.J’ai plusieurs fois eu recours à l écoute d’un professionnel, vouloir communiquer n est pas superposable à pouvoir communiquer.Le professionnel permet une communication libre car je sais que ce que je vais dire ne va pas l atteindre émotionnellement, il peut recevoir les émotions négatives qui m habitent que je ne peux dire ni même montrer à mes proches.Et il y a les amies, ce ne sont pas forcemment les plus proches.Pouvoir parler de la maladie et des conséquences sur ma vie constitue une aide.Pouvoir exprimer en toute franchise, par écrit ou oralement de ce qui m habite à l instant T est une chance. Et pour ça je dois dire que je suis chanceuse d avoir autour de moi des amies qui sont prêtesà des moments d’échanges mais aussi qui se proposent pour faire avec: une petite marche, de l aquarelle ..par exemple.Je voudrais aussi dire le bonheur des mails et SMS, c est une parole qui peut être dite à tout moment, à la différence du coup de fil qui peut parfois tomber au mauvais moment. Les simple mots d’un sms: «je pense à toi « par exemple quand je vais passer un examen ou rencontrer l oncologue sont importants pour moi.Pour conclure ce témoignage je dirais que la parole et l écoute attentive ont été et sont essentielles dans ces parcours difficiles.
Michèle